Certains week-ends sont plus fatigants que d’autres, mais aussi plus marquants. Le dernier que nous avons passé à Guipel pour le salon Vinicircus entre dans les deux catégories. Arrivés un peu tard vendredi soir, nous n’avons pas eu la chance d’assister au concert d’Arno, mais c’est la seule chose que nous avons manquée, car pour le reste, on a fait cartons pleins (et on ne parle pas seulement de ceux qui se sont entassés dans le coffre à la fin du séjour).
Samedi matin, nous sommes accueillis au son de « Raiiiisiiiiiiiin » par une voix encore claire. Olivia Mann – un des deux représentants de l’indispensable appli Raisin qu’il faut absolument soutenir dans sa campagne de crowdfunding – n’a pas encore trop forcé sur ses cordes vocales et s’attelle à coller ses affiches et distribuer ses tractes en compagnie de Jean-Hugues, le créateur. Avec Harry, nous sommes les premiers « auteurs » (ça pète comme mot, presque pompeux non ?) à dégainer nos bouquins pour installer le stand. Dans la salle principale, les premiers dégustateurs sont déjà en train d’agiter leurs verres alors que les cafés sont pour le moment plus nombreux dans les mains des vignerons que les verres de blanc (ça ne va pas durer). Curieusement, ou non, les premiers visiteurs semblent plus intéressés par les vins que par les bouquins. Didier Super aurait ironisé sur le QI des Bretons pour expliquer cet état de fait, mais la raison est plus évidente. Avec la concentration de bons vignerons et les tarifs proposés par ces derniers pendant le week-end, difficile de s’attarder sur des livres – même les meilleurs du moment comme le prouve la line-up de All-stars présente pour l’occasion : Pur Jus de Fleur Gobard et Justice Saint-Lô, le Vin jaune dix façons de l’accompagner d’Olivier Grosjean, Skin Contact d’Alice Feiring, première prod du label Nouriturfu représenté par Antonin Iommi-Amunategui et nous, Entre Les Vignes. L’avantage, c’est qu’entre deux discussions / dédicaces, nous avons le temps nous aussi de nous attarder sous le chapiteau à la rencontre des faiseurs de bons jus. Mais à ce petit jeu-là, nous ne sommes pas les premiers. Olif est un rapide et est le premier à faire rougir son verre griffé avec la belle syrah de Patrick Bouju. Il n’en fallait pas plus pour nous motiver à quitter notre siège. En effet, la Syrah 2016 (dans laquelle Patrick a ajouté, entre autres, un peu de Muscat) est une belle petite bombas qui accompagne merveilleusement bien le somptueux sandwich d’Emmanuel Chavassieux à l’ail des ours.
En début d’après midi, la foule se fait plus dense. Les bras se tendent vers les stands, les bouteilles s’inclinent à haute fréquence et les vignerons mouillent la chemise. Certains pourtant n’hésitent pas à déserter leur tonneau et à recruter un mec de passage pour faire l’intérim. C’est la petite blague que m’a faite l’Alsacien Jean-Marc Dreyer. Sous prétexte de connaître un peu ses cuvées et d’avoir succombé de plaisir devant son gewurzt de macération quelques mois auparavant, me voilà propulsé derrière le stand avec pour mission de servir et renseigner les dégustateurs. Et puis ce qui est pratique en plus avec Jean-Marc, c’est que ses vins ne ressemblent en rien aux standards alsaciens : cuvée d’Auxerrois Tri-aux (assemblage de trois millésimes 2012, 2013, 2014) simplement incroyable, superbes macérations de pinot gris et de riesling ou encore un friand pinot noir nature. Résultat :
« – C’est bizarre pour de l’Alsace vos vins ?
– Euh… je ne suis pas le vigneron en fait…, il m’a demandé de le remplacer pendant qu’il fumait une clo… qu’il livrait un client, mais non ce n’est pas si « bizarre », c’est simplement bon non ? »
Arrive le grand moment du diner vignerons. En moins d’une heure, l’équipe incroyable de bénévoles a dégagé les 75 stands pour installer le couvert pour 600 sauvages convives assoiffés et affamés. La performance est impressionnante, mais elle sera supplantée par la capacité de ces mêmes bénévoles à servir avec une efficacité simplement stupéfiante 600 entrées, 600 plats et 600 desserts, tous réalisés avec des produits frais, bios et cuisinés. Là, on peut parler de performance. Performance, il y a eu aussi aux quatre coins de la salle pour dégommer un nombre substantiel de quilles que nos vignerons avaient abandonnées pour la bonne cause. A notre table, comme à chaque table en fait, les discussions sont variées, décalées, parfois étranges, même celles avec des gens sérieux (ou pas du tout à ce moment de la journée) comme Isabelle Saporta et Jeremy Couston de Télérama. Une, deux, trois… on ne compte plus les bouteilles qui défilent sur la table. Une chanson, un cri, des rires, quelques bières avec nos voisins de tablée de la brasserie de la Divatte, un concert, deux ou trois tentatives de pas de danse très approximatifs et très éphémères. Dodo.
Réveil semi embrumé. Café, thé, brioche, soleil breton, petit vent frais, café, installation, réflexion (sisi !), café, déménagement de notre stand dans la salle principale, on est bien, on est mieux. Calés entre Patrick Bouju et Jean-Louis Pinto, nous voilà en bonne compagnie pour enchaîner sur cette deuxième journée. Dimanche de Pâques oblige, l’affluence est moindre en ce début d’après midi. On en profite pour rendre visite à quelques vignerons : Camille et Mathias Marquet du château Lestignac, Raphaël et Cristelle Champier, Pierre-Nicolas Massotte, Gilles Ballorin, Gérald et Jocelyne Oustric, Marc Pesnot, Thierry Puzelat, Jean-Michel Stephan, Antony Tortul de la Sorga, Hervé Villemade, José Carvalho de la Cave des Nomades à Banyuls (prix des plus belles étiquettes du salon décerné par nous), Jérôme Bourgeois-Diaz (merci de nous avoir acheté un bouquin et merci d’avoir redonné la pêche à Harry grâce à tes bulles dimanche en fin d’aprem, il en avait besoin)… mais on doit vite retourner au turbin et promouvoir notre livre.
Vers 17h c’est encore dense dans les travées, les acheteurs lâchent leurs dernières armes dans la bataille. Certains vignerons n’ont plus de vin (Vincent Marie en profite pour distribuer ses affiches), d’autres s’autorisent enfin une pause. Ca troque dans tous les sens, bonne ambiance, toujours. Ce sera le fil rouge de ce week-end d’ailleurs. Sourires et soleil de fin de journée, il est l’heure, c’est fini, faut remballer avant l’ultime dîner. Les apéros s’improvisent aux culs des camions, les bénévoles, eux, restent concentrés, il faut encore dresser le couvert pour 400 et préparer la salle de spectacle pour le très attendu Didier Super et son humour plus décapant qu’un verre de Tariquet.
D’ailleurs, on a la chance d’assister à un pré-spectacle puisque Didier Super, ou plutôt Olivier Haudegond de son vrai nom, partage notre table. Mais l’artiste est presque aussi timide et réservé qu’il sera déjanté et déchaîné quelques minutes plus tard. Son spectacle intitulé « Ta vie sera plus moche que la mienne » me fait l’effet d’un coup de boule façon Depardieu dans les Compères. C’est brutal, violent, on ne le voit pas venir et ça marque. A la question « peut-on rire de tout ? », Didier Super répond avec un grand « oui » et le ponctue d’un doigt d’honneur. C’est sans limite, mais c’est drôle, très drôle et ce n’est évidemment pas dénué de réflexion. Bref, ce spectacle clôt admirablement un week-end parfaitement réussi où bonne humeur, découvertes et échanges festifs sont définitivement devenus la marque de fabrique de Vinicircus.
Mentions spéciales pour :
- Michael Georget et ses magnifiques vieux carignans. Attention, gros gros potentiel !
- Vincent Marie, auvergnat No Control, pour son blanc oxidatif surprenant.
- Théo Milan, pour sa verve aussi affutée que ses jus sont tendus et précis. Gros coup de cœur pour son Grand Blanc 2014 et le dernier millésime de la cuvée S&X.
- Jean-Marc Dreyer. Promis, vais m’entraîner pour la prochaine fois.
Et évidemment, nos deux voisins (on a eu le nez fin en se calant ici) :
- Jean-Louis Pinto de Es d’Aqui pour ses 4 cuvées à l’équilibre parfait (quelle maîtrise de la volatile !) et notamment sa cuvée Traquéo simplement envoutante.
- Patrick Bouju (et Justine) pour sa Syrah dont on a parlé un peu plus tôt et son inimitable Festejar à la bulle si festive que cette cuvée pourrait être l’emblème de Vinicircus.
Un dernier mot pour remercier et féliciter encore une fois Olivier Guitton et tout son staff. Belle équipe de champions !
Jean-Louis Pinto, Jean-Marc Dreyer, Jérôme Bourgeois-Diaz, Michael Georget, Patrick Bouju, Théo Milan, Vincent Marie, vinicircus
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